article 12 :
Guerquesalles n’est qu’à une portée de canon de Chambois où se profile la débâcle de l’armée allemande. C’est la fin de la Bataille de Normandie. Les troupes allemandes, encerclées par les Alliés, dans ce qu’on appelle communément mais injustement « la poche de Falaise », n’ont qu’une seule issue pour gagner le nord : les routes de Camembert, Champosoult, Guerquesalles.
Pendant ce retrait, les Allemands vont perdre près de 10 000 hommes, chevaux et quantité de matériels, tous abandonnés dans un sauve-qui-peut général.
Comme toute armée en débandade, les individus sont livrés à eux-mêmes. harcelés, affamés, déboussolés, ces soldats ne maîtrisent pas leurs réactions ; d’autant plus que la plupart ne sont que des gamins d’une vingtaine d’années. Il est préférable de ne pas se mettre en travers de leur chemin. Des habitants ont dû laisser leur lit ou leur repas aux fuyards. Toute tentative de s’opposer risque d’entraîner la mort.
Comme si les exactions de l’occupant ne suffisent pas, la Milice est toujours active. Dans les jours précédents, le dénommé Jardin, supplétif de la Gestapo dans l’Orne, est venu avec ses sbires « cueillir » un résistant, sur dénonciation. Jean Chorin a toujours dans la tête le bruit de la rafale qui a abattu Pierre Lorca : « j’étais dans la ferme familiale qui jouxte le manoir de la Cocardière. Il est sorti par l’arrière quand il s’est rendu compte de la présence des miliciens. Mais ils l’ont abattu dans la cour. »
Pendant la dernière semaine, au plus fort des combats, beaucoup de ces habitants instruits par la destruction de Vimoutiers, n’osent plus dormir chez eux et se réfugient dans les boves, terme augeron pour désigner les grottes qui abondent dans ces coteaux calcaires. « On était parfois une vingtaine de personnes des fermes aux alentours. » Et de citer : « les Bidart, les Duguet, toutes générations confondues, et puis aussi des employés, des réfugiés. On ne sortait que pour aller traire les vaches. On mangeait de la bouillie et on dormait sur des paillasses. La pauvre Mme Duguet, la grand mère, est restée tout le temps assise sur une chane, le bidon à lait de l’époque, tout près de l’entrée de la bove, n’osant ni entrer ni sortir, complètement tétanisée. »
« Un soir, des S.S. sont venus. Ils ont braqué leurs torches électriques sur nous. Ils cherchaient des aviateurs. Notre chien leur aboyait dessus. Impossible de le calmer Dieu que j’ai eu peur ! Et puis, ils sont partis. »
« Dans la matinée du 22 août, nous voyons une colonne de chars alliés s’avancer dans la vallée. Nous sommes descendus ; en gesticulant et criant de joie. Mais le premier char a dirigé son canon vers nous. Nous nous sommes égaillés comme des moineaux. Puis, nous nous sommes approchés doucement et c’est comme ça que nous avons pris notre premier contact avec les libérateurs. »
Mme Caratéro évoque ces images avec émotion mais ce qui lui revient le plus en tête « est le silence pesant qui régnait dans cet enfer. Même les oiseaux ne chantaient plus. »
La topographie du Pays d’Auge, ses chemins creux offrent des protections naturelles pour les soldats en fuite. Dans le ciel, l’aviation alliée traque, implacablement et indistinctement, tous les déplacements de l’occupant et des habitants.
Les Allemands, pour se défendre au mieux, ont truffé les vallées de la Vie et de la Viette de poste de D.C.A. Plus de 13 avions vont ainsi tomber sous les tirs de l’artillerie allemande.
Dans ces derniers jours de combat, les Allemands vont eux aussi installer un hôpital de campagne, non loin de l’église de Guerquesalles, en bordure de la Vie. Localisation paradoxale pour nombre de ces soldats qui vont la perdre. Des corps seront abandonnés, et brûlés après la Libération ; la décomposition des cadavres ne permettant pas de de les enterrer.
Les combats les plus intenses sur la commune ont eu lieu dans les après-midi du 18 et 19 août. Le ciel clair et dégagé assure à la chasse alliée une maîtrise totale sur ciel et sur terre.
Maurice Blondeau a pu recenser les pertes ennemies, de l’église du village (Guerquesalles) au château de Vimer : 22 véhicules automobiles et hippomobiles, car aussi étonnant que cela puisse paraître les chevaux étaient beaucoup utilisés dans l’armée allemande, sont détruits ou abandonnés. Tout ceci sur un portion de route d’à peine 3 km ; sans compter les victimes humaines. Ce spectacle d’horreur et de désolation se déroule bien évidemment de cette façon sur toutes les routes environnantes.
Du 15 au 22 août, la campagne est devenue un enfer pour tous. Pour certains c’est la défaite, l’emprisonnement ou la mort qui les attends ; pour les autres la délivrance.
Ce matin du 22 août, au lever du jour, Jean Chorin mène un cheval au pré, au Petit Vaumèle. Tout à coup, les oreilles de l’animal se dressent. Des hommes en armes jaillissent. Ils portent des casques anglais mais ce sont des Canadiens. Malgré l’accent québécois nouveau pour lui, la communication s’établit très vite.
M. Chorin les informe de la présence de trois aviateurs américains, cachés dans une ferme voisine, chez Henri et Marie Catrain, depuis une dizaine de jours. Il se propose de les guider : « je sifflais Auprès de ma Blonde. C’était le code convenu pour les ravitailler en toute sécurité. Je n’étais pas rassuré car il y avait encore des soldats ennemis qui passaient dans le chemin du buisson qui borde la ferme. » Il s’ensuit des retrouvailles chaleureuses pour ces hommes venus de l’autre côté de l’Atlantique.
Jean Chorin garde un souvenir ému des époux Catrain, qui ont fait leur devoir en toute modestie, sans jamais le revendiquer.
A la tempête succède le calme. Après ce déluge de feu, un seul soldat canadien, en motocyclette, « libère » Vimer. Accueilli sous des hourras que l’on devine aisément, il est porté en triomphe par les habitants. Loin de savourer ce triomphe, il demande surtout à pouvoir se laver et se restaurer. Pendant que tous le regardent manger « des tomates du potager », se souvient précisément Paul Rébulard, un déserteur allemand, en civil, que des habitants hébergent « emprunte » la moto. On aurait pu penser que c’était pour s’enfuir. Mais non, notre homme n’a tout simplement pu résister au plaisir de faire une virée ; acte totalement insensé s’il en est, où dans cette atmosphère irréelle, tout est possible.
Une nouvelle ère allait s’ouvrir pour tous ces hommes et femmes, encore pleine de difficultés, de peine et de malheur à venir.
Témoignages recueillis par Didier Goret.
Journal de Guerquesalles du 19 juin 2004 « Vimer : un hôpital dans la guerre.»