article 11
A ce stade du récit, il est intéressant de revenir sur la vie à Vimer durant la durée de l’occupation. Mme Gilberte Lecerf avait 22 ans au début de la guerre. Elle travaillait déjà à la cuisine et a été un témoin à une place particulière : on ne se méfie jamais des cuisinières !
La présence des Allemands fut discontinue et différente selon les occupants.
Le premier souvenir qui lui revient fut, dans les premiers jours de juin 1940, la présence d’un officier supérieur de haut rang qui passa une seule nuit au château. Le nombre et la nervosité des entinelles témoignaient de l’importance du personnage. Pour la petite histoire, il avait un chien avec lui, un teckel. Bien plus tard, la paix revenue, Mme Lecerf reverra sur des photos de magazines un certain Rommel, avec un même chien. Etait-ce lui ?
Un état-major conséquent lui succéda en août. Dans les années 42-43 arriva une partie d’une division SS. Le Noël qui suivit reste à jamais gravé dans sa mémoire, à tel point que les illuminations actuelles autour de la nativité font ressurgir des souvenirs de peur. Les SS avaient récupéré des oies dans une ferme, la veille de Noël. Ils avaient lâchés leurs chiens dans la cuisine à la poursuite des oies, puis leur avaient tranché le cou. « Les bêtes continuaient à courir et moi je me tenais dans un coin de la cuisine, terrorisée, attendant mon tour ».
Leur commandant s’était marié quelques temps auparavant. Sa femme, très belle, l’accompagnait. En fait, c’est elle qui faisait la loi, imposant un climat de terreur parmi la troupe et allant jusqu’à menacer de renvoyer le cuisinier allemand sur le front russe « car les épluchures des pommes de terre étaient trop épaisses ».
Vimer était alors un lieu de repos, agrémenté par des péripatéticiennes, pudiquement appelées « femmes de ménage ». Elles logeaient à Vimoutiers et montaient chaque jour au château. L’une d’entre-elles, devant Mme Lecerf, s’était confiée à Karl, le cuistot aux épluchures trop épaisses mais aussi au grand coeur :
- « je ne suis plus maître de mon corps », lui dit-elle
- A qui le dites-vous. Il y a longtemps que je ne le suis plus, moi aussi ».
Tous les soldats n’étaient pas des brutes sanguinaires.
Puis, cette unité prit le chemin du front russe, au grand soulagement de tous les habitants de Vimer.
La propriété fut alors transformée en dépôt de carburant. Le château devint une caserne, avec des soldats de toutes nationalités. Des Italiens, anciens alliés, étaient devenus des prisonniers au gré des renversements d’alliances. Ce sont eux qui creusèrent les trous des citernes.
Tous les mercredis, les soldats allaient à Lisieux, pour des sorties rituelles, relatives « au ménage » et qui n’avaient rien d’un pélerinage.
Il devait régner une ambiance assez désinvolte, peu compatible avec l’idée que l’on se fait de l’armée allemande, puisqu’il arriva, un de ces fameux mercredi, qu’il ne restât que trois soldats pour assurer la surveillance du dépôt !
Ce centre de stockage ne fut jamais bombardé ; une chance pour le château et ses habitants car il n’en serait rien resté.
Mme Lecerf fit la connaissance d’un certain Wolinoski, sujet polonais et polyglotte qui fut enrôlé dans la Wehrmacht après l’invasion de son pays et qui finit sous l’uniforme américain ; une stratégie de survie, sans aucun doute. Outre ses talents de polyglotte, il possédait des dons d’imitation qu’il utilisait pour se moquer des autres.
Cette vie de château prit fin pour ces occupants, partis à leur tour sur le front de l’Est. Certains repassèrent à Vimer lors de la débâcle allemande après la prise de Montormel.
Témoignages recueillis par Didier Goret.
Journal de Guerquesalles du 19 juin 2004 « Vimer : un hôpital dans la guerre.»