article 9
Nourrir 120 personnes n’est pas une mince affaire, surtout dans des conditions de guerre. Et pourtant, cela n’a jamais constitué un problème insurmontable. « Tout le monde donnait » précise Mme Lecerf. Effectivement, les cultivateurs apportent qui, des légumes, qui, des produits laitiers. En fait, aucun commerce n’est possible de par l’impossibilité de se déplacer. Les bêtes, tuées dans les champs par les mitraillages ne peuvent se conserver et sont apportées à la cuisine de Vimer ; le menu est fonction de l’intensité de la bataille !
Les produits laitiers n’ont jamais fait défaut, bien évidemment, et couvrent l’éventail du repas : soupe au lait, crème fraîche pour remplacer la vinaigrette, livarot à satiété (le camembert, chose étonnante compte tenu de la proximité du village du même nom était beaucoup plus rare), lait caillé en dessert.
Ce qui manque le plus est le pain. Il existe encore quelques boulangeries qui fonctionnent plutôt mal que bien, dont celle de la Croix Rouge, un lieu-dit voisin bien nommé. Mais reconnaît Paul Rébulard, la farine est de mauvaise qualité, pour ne pas dire infecte : « de la balayure de grenier. »
Mme Lecerf garde une préférence pour le boulanger de Pontchardon : « il nous grillait de l’orge pour faire du café. Après je faisais bouillir les grains une dizaine de minutes. Cela donnait un jus épais que l’on passait dans un filtre. Ce n’était pas extraordinaire ». Mme Lecerf ne précise pas si le goût du calva aidait à faire passer ce breuvage singulier.
Quelques soient les difficultés à s’approvisionner auprès des boulangers, elle ne se souvient que de deux journées sans pain, forcément longues.
Ce qui posait problème dans le ravitaillement n’est pas tant la disponibilité des produits que leur acheminement.
La comtesse de Touchet s’efforce de nourrir toute la maison et ne ménage pas sa peine, avec son poney ou son vélo, pour s’enquérir des possibilités de nourriture. Un jour que la bataille fait rage, le comte lui interdit de partir pour des raisons de sécurité. A bout d’arguments, il lui lance : « il vous faudrait au moins un casque ». Qu’à cela ne tienne, Mme de Touchet monte à l’étage et se coiffe d’un casque d’huguenot, propriété familiale d’un lointain ancêtre, et part affronter les éclats d’obus et la mitraille !
Le dernier repas, à la mi-septembre, est resté dans l’esprit de notre cuisinière. Il ne reste plus que l’équipe médicale, sur le départ. Au menu était un sauté de veau, la moitié de l’animal, des champignons des prés qui venaient de sortir et quatre litres de crème pour enrober le tout. Le problème du moment n’était pas le cholestérol.
Ce qui revient le plus souvent dan la bouche des résidents, à ce propos de la nourriture est : « on a jamais manqué » ; mais au prix de quel courage, souvent insoupçonné de la part des autres, de ceux et celles qui assuraient le ravitaillement dans la tourmente.
Au problème crucial du ravitaillement s’ajoutent d’autres obligations, en apparence moins nobles mais cependant nécessaires. M. Chorin : » Ce sont les fermières des environs qui se chargeaient de laver et d’entretenir le linge. Il n’y avait pas évidemment de machines à laver. Tout se passait au lavoir. C’est ma mère et une laveuse qui s’en chargeaient. »
Témoignages recueillis par Didier Goret.
Journal de Guerquesalles du 19 juin 2004 « Vimer : un hôpital dans la guerre.»