article 1
14 juin 1944. Les douze coups de midi sonnent. Jean Blondeau, un jeune Augeron d’une quinzaine d’années, arrive au château de Vimer. Sur un plateau, habituellement dévolu au transport des pommes et tiré par un cheval, il ammène là, quelques blessés graves, rangés tête-bêche ; enfants, femmes et hommes confondus. Les uns gémissent, les autres agonisent.
Ce sont les premières victimes amenées dans ce château de Vimer, qui va devenir le seul hôpital de la région pendant plus de trois mois.
Quatre heures plus tôt : « 16 Marauders américains (des bombardiers), dans le secteur de Falaise, ont largué 29 tonnes de bombes, explosifs brisant, sur Vimoutiers, avec d’excellents résultats » (voir le rapport de l’armée -document d’époque). En 25 minutes et en 5 vagues successives, Vimoutiers est détruites à 90 %.
Dès les premières rafales, la cité est en feu. Le bois des maisons, la plupart en colombage des XVIe et XVIIe siècles, crépite. Les flammes sont déjà hautes. Avec elles s’élève une énorme colonne de fumée épaisse et jaunâtre, dégageant une odeur âcre. Le soleil de cette magnifique journée de juin a disparu. Le vrombissement des avions meurtriers a disparu.
Les premiers instants de stupeur passés, les secours s’organisent tant bien que mal dans une panique générale. Des habitants hébétés, parfois en simple chemise, fuient ce théâtre d’horreur ;d’autres commencent à fouiller les décombres, à mains nues, à la recherche de leurs proches au son des cris qui fusent sous les décombres. Ils le font parfois au péril de leur vie. Nombreux sont ceux qui périssent dans les dernières vagues de ces avions qui s’acharnent dans leur triste besogne.
Pour quelles raisons ceux qui se sauvèrent se sont-ils regroupés au Pont Percé à la ferme des Blondeau ? Cette ferme qui jouxte le bourg est épargnée. Ses habitants accueillent comme ils le peuvent les premières victimes. Mais la maison se révèle bien vite trop petite. On étale alors les blessés dans les greniers à pommes, sur la paille.
Le premier à réagir, le Dr Boullard, est tout de suite à l’oeuvre. Il vient d’échapper par miracle à la destruction totale de l’hôpital. Les premiers soins se donnent sur place. On panse, on réconforte sans aucun moyen.
Aux alentours, dans la campagne, les gens ont compris qu’il venait de se passer quelque chose de grave à Vimoutiers. Le bruit des avions, l’assourdissement des bombes, le nuage de poussière qui enveloppe la vallée ont attiré la population. On assiste alors à deux types de réactions : ceux qui d’emblée aident, portent secours, et quelques uns qui s’enivrent dans les caves éventrées des établissements Anée [note de l'OT : importante cidrerie-distillerie de Vimoutiers qui employait à l'époque une centaine d'ouvriers] ; peut-être par opportunisme ou désespoir.
La comtesse de Touchet, venue de Guerquesalles, a croisé les premières victimes regroupées au Pont Percé. Aussitôt, elle propose à son ami le Dr Boullard que l’on transporte les blessés à Vimer, un château du XVIIIe siècle.
Commence alors une période extraordinaire qui va durer jusqu’au 15 septembre 1944.
Durant ces trois mois, près de 600 blessés ou malades, pour la plupart des civils, seront soignés au château, devenu hôpital de campagne. Les conditions pour y parvenir seront très difficiles, au moins jusqu’au 22 août, date de la libération. Car jusqu’à cette date, les routes restent sous le feu de l’aviation alliée.
Le Comte de Touchet organise de façon militaire l’occupation des lieux. Les blessés sont répartis dans les salons, sur des paillasses laissées par l’armée allemande. Le Dr Boullard commence à pratiquer ce que l’on n’appelait pas encore une médecine d’urgence : il organise un premier tri. Les plus touchés sont transportés dans la chapelle, comme si l’intervention divine n’était plus que la seul solution. Les autres, les opérables, sont placés à tour de rôle sur une simple table, devenue table d’opération. Commence alors pour le médecin une suite d’interventions chirurgicales, toutes plus dramatiques les unes que les autres : désarticulations, amputations, trépanations.
L’entourage familial du médecin et du châtelain s’est, lui aussi, transformé en personnel médical avant que de véritables auxiliaires ne viennent renforcer les forces en place. L’apprentissage s’est fait directement sur le terrain, sans état d’âme.
Il ne suffit pas de panser les plaies. Il faut héberger, nourrir tous ces gens dans les conditions dramatiques que l’on imagine aisément (manque de ravitaillement, grande difficultés à se déplacer, etc.). Tous les blessés n’ont pas survécu ; il a fallu enterrer les morts, dignement.
S’il fallait rajouter de l’absurde à l’horreur, les témoignages des orphelins d’Epron, qui seront évoqués ultérieurement, nous rappellent à quel point le hasard joue un rôle dans la vie de chacun.
Source :
Didier GORET – « Vimer : un hôpital dans la guerre » – Journal de Guerquesalles du 19 juin 2004