Allocution prononcée par Pierre CLOSTERMANN en hommage à Jacques REMLINGER
à l’occasion de la messe célébrée en la chapelle de l’Ecole Militaire, le 7 novembre 2002
Nous sommes ici, Joëlle son épouse, Michael son fils, Anita et Caroline ses filles, afin de prier pour le repos éternel de Jacques Remlinger le meilleur et le plus cher de mes amis, le meilleur que j’ai jamais connu et que j’aurais connu en frère.
Ses camarades des F.A.F.L. [Note : Forces Aériennes Françaises Libres], de la Royal Air Force et de l’Armée de l’Air sont également venus pour saluer une fois encore celui qui fut un Français à la droiture sans faille et un brillant pilote de chasse et digne fils de l’Alsace, notre province fidèle qui a toujours donné à la France quelques uns des meilleurs de ses fils. Né en 1923, engagé à 18 ans dans les F.A.F.L., d’abord au 341 Sq. « Alsace » et détaché ensuite dans la R.A.F. au squadron 602 « City of Glasgow » où nous étions ensemble. Son formidable courage frisait la témérité. Parfait tireur Air-sol, méprisant la dangereuse et mortelle flak allemande, Jacques me terrorisait quand il slalomait à 500 Km à l’heure au ras des arbres, au milieu de gerbes d’obus traceurs ennemis de 20 et 37 mm. C’est ainsi qu’au cours d’une des missions, le 17 juillet 1944 à 15h30 survolant la route Livarot-Vimoutiers, alors la nationale 179, avec son équipier Néo-Zélandais Bruce OLIVER, ils ont mitraillé une puissante voiture décapotable… C’était la Horsch personnelle du Maréchal Rommel qui fut grièvement blessé et qui ne sortit du coma que pour mourir à Errlingen le 14 octobre des suites de ses blessures [Note : version couramment répandue mais inexacte ; Rommel ne se remit pas de ses blessures mais fut contraint de se suicider]. Les armées allemandes de Normandie pressées par les alliés ne se relevèrent point de l’absence de Rommel… Trait de son caractère, Jacques ne tira jamais vanité de cette action qui pesa lourd sur la réussite du débarquement.
Un des aspects de son allant et de son énergie était la pratique de son sport favori : le rugby. En effet, à peine sorti de Harrow, son école qui fut aussi celle de Churchill, à 17 ans, Jacques jouait avec les Wasps, champions d’Angleterre. Joueur émérite, trois quart aile légendaire, il fut sélectionné dans l’équipe nationale du Royaume Uni à plusieurs reprises, consécration exceptionnelle pour un joueur étranger et joua à plusieurs reprises brillamment en international. Pendant cette longue période, nous avons effectué deux cents missions, côte à côte dans nos Spitfire, partageant les dangers et les victoires, ce qui crée des liens fraternels plus solides que ceux du sang.
Le privilège de l’amitié m’a permis de lui remettre les insignes de Commandeur de la Légion d’Honneur. Le roi d’Angleterre lui avait décerné la Distinguished Flying Cross et il avait été cité neuf fois à l’Ordre de l’armée. Combattant exemplaire, au patriotisme sans faille, il fut au premier rang de ceux qui ont sauvé l’honneur de l’Armée de l’Air en n’acceptant pas l’armistice avant la victoire. De Gaulle a ajouté à propos des FA.F.L. « Comme vous n’étiez pas nombreux, vous vous êtes beaucoup battus ». Cher Jacques, le drapeau tombé en 1940 a été ramassé et relevé bien haut par quelques garçons comme toi. Je suis fier d’avoir été ton ami, d’avoir partagé ta vie comme j’aurais partagé la mort si les dés avaient roulé du mauvais côté ! Sans peut-être en être totalement conscient, tu as été un des dépositaires de l’Honneur de la Patrie. L’histoire qui est cruelle en gardera, je l’espère, le souvenir. En tout cas, la présence aujourd’hui des drapeaux de la R.A.F. et F.A.F.L. sont un ultime hommage à ta carrière glorieuse. Cher Jacques, après cinquante années d’amitié partagée, je ne te dis pas adieu, parce que si Dieu le veut, nous nous retrouverons bientôt.
Pierre Clostermann